Jeudi 05 mars 2020

Aie ouille quand un caillou vient se glisser dans la machine,

rien ne va plus,

mais tout fini par rentrer dans l'ordre.

La tête dans les pantalons noirs va pouvoir reprendre.

J'ai pu faire affûter hier mes couteaux de surfileuse.

En discutant avec le cordonnier,

v'la ti pô qu'il me recommande un de ses collègues

dans les hauteurs du bled...

Un magasin improbable comme il n'en existera bientôt plus...

La vitrine n'est pas accueillante, les vitres sont sales,

les vitrines abandonnées depuis trop longtemps,

on peine à voir si c'est ouvert ou non.

Approchant ma tête de la vitre,

j'aperçois une faible lueur, une ampoule brille au fond de l'antre.

Je pousse la porte...

Un puissant driiiiiing me fait sursauter...

je referme la porte...

nouveau driiiiiiiiiing...

Il doit être un peu sourd peut-être...

Ah non les machines ont fonctionné un jour,

il fallait entendre l'arrivée du client..

Tout n'est que poussière ou presque

mais j'entends que l'on converse là-bas derrière, il y a bien de la vie ici...

Ici et là traînent des chaussures non réclamées,

des boîtes de clefs ou des clefs délicieusement rétro

suspendues sur un tableau grisâtre,

de vieux porte-clefs, des ceintures,  sur l'établi des outils disséminés

et puis, flottent dans l'air de bonnes odeurs de métal,

de graisse, de cirage, de tabac et de café mélangées...

Cependant, dans ce fatras,

brillent trois paires de chaussures fraichement réparées, cirées.

Chaque paire reliée par une pince tenant fermement en sandwich,

le double du ticket client, elles attendent leur propriétaire sur le comptoir.

Les dernières paires de la carrière

de ce petit cordonnier faiseur de clefs certainement.

Le brave monsieur part à la retraite en fin de mois.

Il regarde mes ciseaux qui ont une drôle de forme, surtout un en crochet...

"Hum ma petite madame" comme il dit,

"j'en ai déjà affûté des machins comme ça mais comme le vôtre... non.

Mais je vais essayer"

Ses mains usées par le travail, les doigts pris par l'arthrose

ont de la peine à manier et placer cette petite pièce,

trouver la bonne inclinaison, l'angle d'attaque,

mais on sent l'expérience, la patience, l'envie de bien faire,

l'envie de rendre service.

Devant sa meule au tungstène qui lui a coûté cher mais le top du top

me précise-t-il,

il s'applique, tête baissée, il tourne et retourne ce maudit crochet...

Ce n'est pas une pièce de quelques centimètres qui va lui résister.

Il hésite...

Je lui dis que foutu pour foutu,

ce n'est pas grave, que de toute façon ça me fait du maché-haché de tissus

que ça ne pourra pas être pire.

"Ok ma petite madame, alors j'y vais..."

Il enclenche le moteur de la meule....

tssisiisiisisisisis

étincelles...

il me tend mon ciseau-crochet, je pense que ça ira ma petite madame,

et passe à l'autre partie.

Je regarde ce petit papi...

Il est trop mignon avec son tablier publicitaire maculé de taches,

lunettes sur le bout du nez, les gestes sont précis.

Il place son guide, serre, règle, enserre, teste, desserre, replace, resserre et...

Tsssitsiiistisiisitiisisi

étincelles...

Autre meule...

tsssstssstssss...

"Voilà ma petite dame, ça devrait fonctionner au moins pour celui-ci"

Je lui laisse, comme convenu, quatre pièces sur le compteur poussiéreux,

il ne les prend pas pour le moment, il a plus important à faire,

un dernier regard, un au revoir,

j'ai à peine atteins la porte

qu'il est déjà retourné papoter avec son pote dans l'arrière-boutique...

Il a raison, l'amitié est plus importante que quatre sous.

Heureuse je rentre replacer mes couteaux...

...

..

.

Crochet... vissé...

Yes !

le morceau plat... oups faux mouvement et, c'est magique, il disparaît...

Oh bordel...

il a dû glisser dessous... je soulève la machine...

l'est pô là..., je regarde parterre... pô là non plus...

Je secoue la bête...

Rhoooo non... c'est quoi cette connerie...

Je tourne et retourne la machine...

mon homme arrive, les grosses bobines tombent...

mon homme repart... Je reviendrais plus tard dit-il...

oh le pauvre il a senti mon agacement...

Tournevis, je démonte le dessous de la surfileuse...

Oh la vache tous ces résidus de tissus, cette poussière, 

fichtre je fais en profiter pour nettoyer un peu.

Mais pas de couteau à l'horizon !

C'est un gag ou quoi ?

Je remonte la bête...

Oh non... impossible... il ne serait pas...

il ne serait pas tombé dans...

dans le sac qui récupère les coupes de surfilage

tout de même...

J'y plonge la main... Je suis comme à Fort Boyard à la recherche d'une clef...

Je fouille, remue, tâte et...

Ouiiiiiii j'ai la clef, oh pardon mon couteau est là...

On le con.

Je le replace, revisse le tout, attrape un morceau de tissu,

allume la machine, appuie sur la pédale et...

Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii

Merci petit papi cordonnier c'est magique, ça coupe du tonnerre !

Je reprends donc mon travail,

faisant de temps à autre quelques pauses.

Un peu de crochet...

Le châle avance...

Sauf que... en le posant et le mettant à plat pour prendre cette photo...

Je me rends t'y pas compte que...

vous voyez ?

Oui il n'est pas droit !

J'ai fait une boulette quelque part...

Alors que fait-on ?

On s'en fout ?

On défait ?

Oui j'ai tout défait hier soir...

Rien qu'à l'idée de savoir qu'il y a un défaut, je ne peux pas garder ça ainsi...

Voilà les Zamis,

je repars sur de nouvelles bases.

@ demain